Crédit Photo: Jeff Nalin
Discrète. Modeste. Travailleuse. Loin des lumières. Loin des mondanités.
Toujours en cuisine.
La Maison PIC 120 ans et Anne-Sophie, devenue chef par passion, officie avec une précision rare.
De la cuisine de la Chef Picsort la perfection.
Elle a joué le jeu de ce « Questionnaire de Proust pour Chefs ».
Quelle révélation !
Anne-Sophie PIC, une Chef pure et émouvante.
Qui êtes-vous Anne-Sophie PIC ?
Je suis une cuisinière. Je suis une maman, c’est une chose importante dans ma vie. Et je suis en France.
Votre plus grande qualité ?
Elle hésite très longuement. J’espère la gentillesse. J’aime penser que j’ai une certaine éthique, une certaine façon de me comporter.
Votre plus grand défaut ?
Je ne suis jamais satisfaite. Je suis impatiente et perfectionniste. Un mélange des trois !
Le compliment qui vous fait le plus plaisir ?
Dans mon métier quand on me complimente sur un plat. Que quelqu’un soit heureux avec ma cuisine me fait très plaisir. Dans ma vie privée « je t’aime maman » me fait fondre….
A contrario, la remarque qui vous agace ?
Rires. Quand les clients me disent « c’est comme d’habitude ». Cela part d’un bon sentiment, je le sais, ils veulent me signaler que c’est toujours aussi bon, mais pour moi ce « comme d’habitude » équivaut à dire qu’il n’y pas d’évolution, que je fais du sur place.
Qualité essentielle d’un bon Chef ?
Transcrire sa vie. Etre en adéquation avec ce qu’il est. Ne pas s’afficher ou cuisiner comme quelqu’un d’autre. Cela permet d’avoir un équilibre !
Quel est vôtre plat préféré ?
C’est une question difficile à répondre. Au début de mon parcours j’aimais certaines choses et avec le temps mes goûts ont changé. Aujourd’hui je peux dire que j’aime l’amertume. J’aime bien la travailler, la rendre agréable.
Mon plat préféré est celui du moment : La betterave café.
Je trouve que l’équilibre est très beau.
Le plat que vous n’aimez pas ?
L’andouillette. C’est psychologique.
Le plat qui vous résiste ?
Le chocolat en cuisine. Je l’ai travaillé avec des asperges et avec des truffes blanches. Je n’ai pas trouvé l’équilibre. Oui, c’est un échec. Peut-être qu’il faudrait essayer avec le cacao, il a plus d’amertume.
L’ingrédient dont vous abusez ?
J’adore le turbot. J’adore ce poisson, c’est le plus merveilleux de tous. Sa texture est unique.
J’arrive à le contourner et à l’utiliser comme aucun autre poisson.
Qu’est-ce que vous utilisez surgelé ?
Les purées de fruits pour les sorbets.
Qu’est-ce que vous avez dans votre frigo à la maison ?
Des œufs, des yaourts, du pain de mie, pour faire les mouillettes pour Nathan, en fait, on trouve beaucoup de choses pour faire manger mon fils Nathan ! Du jambon blanc, des légumes, des fruits. Un peu de cornichons. Un peu de moutarde. Et du beurre doux et demi-sel. Pour le petit-déjeuner Nathan aime bien le beurre demi-sel.
Un plat à faire à la maison tous les jours ?
Les asperges. La quiche lorraine, avec de la savora. Du gratin dauphinois, c’est mon père qui me l’a appris. Un pot au feu un dimanche soir. J’aime les plats que l’on partage.
Votre ingrédient fétiche ?
L’anis vert. Avec le pigeon aux légumes c’est sublime. Ou avec des concombres marinés.
Un plat inratable ?
Le gratin dauphinois.
Avez-vous une certitude en cuisine ?
Oui, pour moi la cuisine est une alchimie des goûts. Une association des goûts. La technique est importante, bien entendu, les connaissances également. Mais pour moi la quintessence de la cuisine est l’association des goûts. Mon éducation a été faite sur le palais. Mon père m’a éduqué sur les goûts.
Un indispensable en cuisine ?
Le sel.
Une multitude de casseroles. On n’a jamais la bonne casserole quand on cuisine !
Il y a aussi des ustensiles indispensables pour moi : la mandoline, les couteaux, un fouet, les cuillères. Je voyage toujours avec mes cuillères.
Quelque chose de sexy en cuisine ?
Les textures dans les plats peuvent être sexy. La dégustation est aussi un plaisir en soi.
J’adore aussi embeurrer les légumes très légèrement, cela apporte une très fine pellicule sur les légumes qui donne une certaine sensualité.
Voudriez-vous prendre la place de quelqu’un d’autre ?
Non. Je ne veux même pas prendre la place de mon père.
Mais j’avoue que parfois j’aurais aimé avoir le talent de dessiner des vêtements, être styliste, peut-être.
Une situation en cuisine qui vous a marquée ?
Un jour mon père m’a dit: - « l’expérience ne se transmet pas ». C’était assez prémonitoire, ce fut quelques jours avant sa disparition. Je pense qu’il voulait me dire qu’il faut se faire tout seul. Se dépasser. Je crois que lui, à son tour, avait reçu les mêmes conseils de son père.
Quel est votre chef fétiche ?
Mon père. Michel Bras. Thomas Keller.
Vos lectures ?
Les romans historiques. Les romans policiers. J’aime aussi beaucoup Balzac.
Une adresse à me recommander ?
285, avenue Victor-Hugo à Valence. Eclats de rires.
Pourquoi le nom du restaurant « Maison Pic » ?
Parce que c’est familial. J’ai vécu dans cette maison où depuis toute petite j’entendais les casseroles, je percevais les odeurs. Je dis rarement « le restaurant », je dis toujours « la maison ». Parce que c’est ma maison, je reçois chez moi. Dans tous le sens du terme.
Quel est votre détonateur pour créer ?
Je decide de me concentrer sur des accords, c’est une rêverie. Ce sont des envies. Je pars du produit et je me demande de quoi j’ai envie. Toujours avec beaucoup de liberté.
Un souvenir culinaire ?
J’adorais les mercredis parce que le restaurant était fermé. Au quotidien, je n’avais pas le droit de jouer dans le jardin, ou de faire du bruit, je voyais peu mes parents. Le mercredi le restaurant m’appartenait. Le déjeuner avec mes parents, sous les tilleuls centenaires, était un moment précieux.
Vous avez reçu en Avril dernier le Prix « Meilleure Femme Chef du Monde ».
C’est un rêve. Mais j’aime aussi relativiser. Est-ce que je suis la meilleure Chef du Monde ? Il y a tellement de Chefs merveilleuses… !! C’est la reconnaissance du travail des femmes. Je crois qu’il ne faut pas catégoriser la cuisine des femmes, ce n’est pas une cuisine a part. Il n’y a pas de différence de niveau entre la cuisine d’un homme ou d’une femme. La technique est là. Pour moi c’est un prix qui reconnaît l’influence de la cuisine des femmes. Les femmes apportent une évolution dans la cuisine. Dans la façon de gérer les équipes par exemple.
Pensez-vous qu’il y a une discrimination envers les femmes Chefs, elles sont tellement peu les étoilées…
Je crois qu’il y a eu un problème de rupture de la transmission. Denouveau elles sont acceptées en cuisine… parce que les hommes le veulent bien… !! Elles sont très techniques, très pointues. Il faut ouvrir la profession aux femmes. Il y a encore beaucoup à faire.
Le mot de la fin ?
La cuisine est une ouverture d’esprit. Cuisiner c’est aimer les gens. Je le ressens comme cela. Mon père m’a toujours dit qu’il fallait donner du bonheur aux autres. On fait ce métier parce que l’on aime les autres. Je ne peux pas oublier ses (de son père) mots.